LE DANGER D’UNE HISTOIRE UNIQUE
« Les histoires sont importantes. De nombreuses histoires sont importantes. Les histoires ont été utilisées pour déposséder et pour calomnier. Mais elles peuvent aussi être utilisées pour renforcer, et pour humaniser. Les histoires peuvent briser la dignité d'un peuple. Mais les histoires peuvent aussi réparer cette dignité brisée. »
— Chimamanda Ngozi Adichie
Au fils du temps, la République démocratique du Congo a été réduite à ce que la romancière nigérienne Chimamanda Ngozi Adichie appelle «le danger d’une histoire unique». * Et dans cette histoire unique du Congo, on ne laisse place qu'au viol, à la guerre et à la violence sectaire. Dans cette histoire unique, nous n'entendons parler que du Congo des kadogos, des enfants soldats et des tshegues, les enfants de la rue livrés à eux-mêmes, certains ayant recours à la vente de leurs corps en échange d’un repas.
Dans cette histoire unique, nous entendons parler du Congo de mauvaise gouvernance et de corruption systémique; le Congo du “cœur des ténèbres”, de la colonisation et du délabrement des infrastructures décrépites. Et dans un tel Congo, les femmes, si nous en entendons parler, ne sont presque toujours que des victimes.
Si cette histoire du Congo est une histoire vraie, elle est également incomplète. Elle ne transmet pas les multiples facettes de ce pays, à la fois merveilleusement chaotique et riche en couleurs. Cela ne laisse aucune place au Congo qui puisse inspirer joie ou admiration, aucune place au Congo avec sa glorieuse scène artistique, riche et créative; aucune place aux femmes fortes qui ne prendront pas un «non» pour une réponse, et qui ne se laissent pas intimider, tout comme il n'y a pas de place pour les nombreuses femmes instruites et talentueuses à la carrière brillante. Il n'y a rien dans ce Congo qui pourrait donner un sentiment partagé d'humanité et certainement rien à celui, n'ayant jamais vécu de telles épreuves, pour s’identifier à cette histoire.
Comme le dit Adichie: « La conséquence de cette histoire unique est celle-ci: elle vole aux gens leur dignité. Elle nous empêche de nous considérer égaux en tant qu'humain. Elle met l'accent sur nos différences plutôt que sur nos ressemblances. »
Dans cette histoire unique « de la catastrophe », ajoute-t-elle, seul un « gentil étranger blanc » peut sauver le Congo de soi-même, sans transmettre aucune notion du rôle que certains étrangers blancs ont pu jouer dans sa stagnation prolongée.
Avec Mama Congo nous aspirons donc, entre autres, à faire circuler une variété d’histoires et d’images du Congo.
Tout au long de notre travail, nous avons veillé à ce que ces histoires soient racontées elles mêmes par les jeunes filles et les femmes qui figurent dans ces portraits. Bien que leurs témoignages aient été condensés, les mots restent entièrement les leurs.
Parmi les récits d’adversités et de souffrances, il y a aussi des récits d'espoir et d'ingéniosité, d'amour et d'ambition. Certaines histoires peuvent vous faire pleurer, mais nous espérons que d’autres vont vous émouvoir de joie. Si une de ces histoires peut inspirer l’espoir et vous entraîner à avoir un regard plus nuancé sur le Congo et les congolais, alors nous aurons reussi notre travail.
Adichie utilisait l’exemple du Nigéria, ainsi que du continent africain, mais elle parlait, de manière plus générale, des dangers de réduire de pays et de peuples entiers à une seule et même histoire. Son Ted Talk de 2009, est une conférence stimulante, à ne pas manquer, que vous pouvez regarder ci-dessous.